Fanorona

Fanorona est un des jeux mathématiques les plus réputés du monde, et il est considéré comme le jeu national malgache, parce qu'on n'y jouait traditionnellement dans aucun autre pays, et qu'on ne connaît aucun jeu qui lui ressemble ailleurs dans le monde. Noter qu'un théorème de 2008 dit qu'il n'existe pas de stratégie gagnante à ce jeu, ce qui finalement n'enlève rien à son intérêt.

Histoire de ce jeu

L'ancêtre du jeu de dames s'appelle alquerque de doze. Il provient d'un jeu arabe appelé qirq qui se joue sur ce plateau :

Répandu en moyen-orient, ce jeu a été pratiqué sur des plateaux parfois très élaborés (incision d'ivoire dans des bois précieux, ajouts de rosaces ou couleur spéciale pour le carré central) et l'intensité des échanges commerciaux a amené un visiteur (probablement iranien) à offrir ou échanger un de ces plateaux de jeu avec ses 12 pions de chaque couleur à un malgache (probablement de la noblesse Merina). Mais apparemment l'oriental a oublié de donner au malgache la règle du jeu, et le malgache a inventé un jeu unique au monde qu'on joue avec ce matériel : le fanorona-dimy (dimy veut dire cinq, c'est parce qu'il y a 5 colonnes), dont voici la position initiale :

Un plateau de fanorona (mais est-ce à 5 colonnes ?) a été trouvé dans le hova (enceinte sacrée) d'Alasora qui était utilisée au XVIe siècle. Les Merina (au moins les nobles) jouaient donc au fanorona vers l'an 1500.

Une légende dit qu'un prince a laissé son petit frère devenir roi parce qu'il s'intéressait surtout au fanorona-dimy. Constatant qu'il y avait trop de parties nulles dans ce jeu, il a décidé de coller bout à bout deux plateaux de fanorona-dimy, créant ainsi le fanorona-sivy (sivy veut dire 9, or il y a 9 colonnes) :

On constate qu'il faut maintenant 22 pions par joueur, souvent des pierres (vato en malgache) de deux couleurs, mais parfois aussi des pions comme au jeu d'échecs, taillés dans deux bois différents.

Lorsque le roi Andriambelomasina a décrété que son petit-fils Ramboasalama devait à terme lui succéder, il lui a offert une éducation digne d'un futur grand roi. Pour lui assurer des succès dans les inévitables guerres qui allaient venir, et faire de lui un grand stratège, une solide formation au fanorona était incluse dans cette éducation hors sol. De fait, le prince a fini par devenir effectivement un grand roi, en même temps qu'un champion de fanorona. Son palais se trouve à Ambohimanga et dans la chambre royale, on peut encore voir aujourd'hui un plateau de fanorona, les traits étant gravés sur le bois. Lorsque son fils Radama Ier lui a succédé, les 44 invités de la cérémonie d'investiture étaient disposés comme les pions d'un jeu de fanorona.

De 1889 à 1890, le docteur Catat fait un voyage à Madagascar. Lors de son second séjour à Tananarive, il apprend le fanorona avec une jeune merina. Mais il écrit non pas 22 pions par joueur, mais 32. Coquille ou Catat aurait-il observé un fanorona-telo ambin’ny folo sur une grille à 13 colonnes, inconnu à ce jour ? Toujours est-il que lorsqu'on parle de fanorona, c'est le fanorona-sivy à 9 colonnes qu'on évoque.

Des plateaux de fanorona (lakapanorona) en pierre, en bois ou en béton existent dans de nombreux quartiers des plateaux. Parfois ils ont une forme carrée :

Dans la région de Tananarive, on joue beaucoup au fanorona, y compris en plein air, et à tout âge, y compris de jeunes enfants ! Des forains peuvent très bien dessiner par terre, à la craie, une grille de fanorona-dimy, et jouer à même le sol avec des graines de jacaranda (comment font-ils pour savoir de quelle couleur est chaque graine ?). C'est donc sur le petit plateau du fanorona-dimy qu'on va expliquer la règle du jeu.

Règle du jeu

Le fanorona-dimy se joue sur un plateau couvert de traits, ainsi :

Chaque joueur dispose de 12 pions, l'un a 12 pions blancs, et l'autre a douze pions noirs, initialement disposés ainsi :

Bouger un pion

Un pion bouge en glissant le long d'un trait vers une case qui est à la fois adjacente et libre. Par exemple Sud peut, depuis la position intiale, faire

ou

ou

ou

Manger des pions

Dans ce dernier cas, on constate que le pion blanc est venu se coller à une ligne de pions noirs. Alors on les mange tous :

De même, si Sud avait avancé le pion du milieu :

il se rapprochait d'une ligne verticale de pions et la prenait :

S'il avait bougé ce pion :

il prenait l'alignement à droite :

et dans le premier cas :

il s'approchait d'un alignement d'un seul pion, qu'il pouvait manger :

Mais dans ce cas, il avait un autre choix : on peut aussi manger par éloignement, or juste avant de bouger, le pion blanc était contre un pion noir à sa gauche, et peut donc prendre ce pion :

Quand on mange un alignement de pions adverses, on le fait ou bien par approche, ou bien par éloignement, mais pas les deux : on doit choisir entre les deux modes de capture.

Les pions capturés sont retirés du plateau. On peut capturer plusieurs fois au cours d'un même tour de jeu. Par exemple, Nord doit bouger un de ses pions :

Il opte pour celui qui est en haut à gauche, qu'il glisse verticalement :

ce qui lui permet de manger l'alignement de 3 pions blancs dont il s'est approché :

Mais ce n'est pas fini puisqu'il peut encore prendre (par éloignement), en remontant en diagonale :

il prend le pion blanc dont il vient de s'éloigner :

Comme le pion ne peut plus prendre, le tour de jeu s'arrête ici.

Après chaque prise de pions adverses, on doit tourner. Par exemple si c'est à Sud de jouer à partir de la situation précédente, il peut glisser verticalement un pion central :

ce qui lui permet de prendre deux pions noirs par approche :

et, comme il lui est encore possible de prendre en changeant de direction, il bouge vers la gauche :

et prend un pion noir par éloignement :

et ça s'arrête là : il est à côté d'un pion noir, mais pour le prendre par éloignement, il faudrait qu'il retourne vers la droite. Or il est venu horizontalement et ne peut pas repartir horizontalement.

But du jeu

Le premier qui a réussi à manger tous les pions de son adversaire a gagné le jeu. Ou plutôt, la manche, parce qu'après ça vient le temps du vela (ou revanche).

Le vela

La différence avec le jeu standard est que (pour le fanorona-sivy) on ne joue normalement que lorsque le joueur qui avait gagné la manche précédente n'a plus que 5 pions. Jusque là :

Une question intéressante est de savoir combien de pions il doit rester au champion pour avoir le droit de prendre, au fanorona-dimy : au fanorona-sivy c'est 5, on propose 3 ou 4 (lequel ?) pour le fanorona-dimy.

Progression d'apprentissage

Pour apprendre le fanorona, il n'est peut-être pas encourageant d'aller directement dans le grand bain. Aussi propose-t-on ici un apprentissage progressif, en plusieurs étapes.

fanorona en une dimension

En une dimension, il n'est pas possible de tourner et donc la prise multiple n'est pas autorisée. De plus, si la capture par éloignement était autorisée, Sud pourrait gagner par blocage dès le premier coup :

fanorona-dimy, approche seule

Ensuite, on passe à fanorona-dimy, mais sans prise multiple et uniquement par approche. Cela prend du temps pour se familiariser avec la prise par approche, notamment saisir la notion d'alignement. Au fanorona, on va moins loin qu'aux échecs (où on prend la place de la pièce attaquée) et aux dames (où on saute carrément par-dessus la pièce capturée). Quand la notion de ligne de mire est maîtrisée, on peut passer à la version suivante :

fanorona-dimy, avec capture par éloignement

La seule différence entre ce jeu un peu plus complexe que les précédents, et le fanorona-dimy traditionnel, est qu'un ne prend les pions averse qu'une seule fois lors d'un tour de jeu. Par exemple avec la situation suivante (Sud joue) 

Sud peut jouer un pion central :

et capturer 2 pions noirs par approche :

et, contrairement au vrai fanorona-dimy, c'est maintenant à Nord de jouer.

Suite de la progression

On peut ensuite assez logiquement, jouer