Katra paika

Histoire de ce jeu

Tout à la fin du XX^e siècle, près d'Ifanadiana en pays Tanala, Alex de Voogt a observé un jeu qui possède des points communs avec

• le katro des hauts plateaux, par exemple le plateau et sa position initiale :

  2	2	2	2	2	2
  2	2	2	2	2	2
  2	2	2	2	2	2
  2	2	2	2	2	2

• le mécanisme de capture et semis du fifanga observé par Flacourt au XVII^e siècle.

Ce jeu semble donc issu d'un croisement entre ses deux ancêtres, peut-être parce que la zone Tanala se trouve à l'intersection de deux zones de diffusion. On connaît d'ailleurs l'inventivité des Tanala de l'Ikongo, avec leur version particulière du jeu d'échecs. L'interlocutrice d'Alex de Voogt a appris ce jeu dans son enfance et y jouait elle-même avec ses enfants : le katra paika est un jeu adapté aux enfants, de par la brièveté d'une partie.

Règle du jeu

Le jeu se joue sur un plateau comme celui-ci :

mais dans la suite, on va illustrer la règle du jeu sur ce plateau simplifié :

Au début du jeu, il y a 2 graines par case, soit 48 (ou 32 dans la version simplifiée) graines en tout sur le plateau. Aucune graine n'est introduite ni retirée du jeu, ce qui fait qu'à tout instant, il y a 48 graines sur le plateau. Cela permet de vérifier qu'il n'y a pas de tricherie.

Chaque joueur possède les graines qui sont dans ses rangées : celles qui sont les plus proches de lui. Les captures se font depuis la rangée intérieure, et on capture les graines qui sont dans la case d'en face (donc dans la rangée intérieure de l'adversaire). Les graines capturées sont semées à partir d'un des deux tsibongy (ce mot est cité par Flacourt, il n'est pas utilisé par les Tanala) qui sont les cases tout à gauche et tout à droite de la rangée intérieure. Par exemple les tsibongy de Sud sont coloriés en vert clair ci-dessous :

Le but du jeu est de vider la rangée intérieure de l'adversaire.

Au début d'un tour de jeu, on choisit une case non vide (il y en a une, sinon on aurait déjà perdu) de la rangée intérieure, si possible contenant plus d'une graine, et telle que la case d'en face n'est pas vide. Plus précisément :

• Si aucune case de la rangée intérieure ne contient plus d'une graine, on choisit une case contenant une graine.
• Si les cases faisant face à des cases de la rangée intérieure contenant au moins deux graines, sont vides, on ne fera que semer au cours du tour de jeu. Ce sera un tour de jeu fotsiny c'est-à-dire sans capture.
• Si au moins une case permet une capture (c'est-à-dire qu'elle contient au moins 2 graines et que la case d'en face n'est pas vide), on choisit une de ces cases en priorité.

Pour montrer à l'adversaire quelle case on a choisie, on en retire provisoirement une graine :

puis on la remet en place, et on capture la ou les graines qui sont en face :

Ensuite, on choisit un sens de semis qui restera le même tout au long du tour de jeu. Par exemple, si on choisit le sens des aiguilles d'une montre, on sème les graines capturées à partir du tsibongy de gauche :

et, si on a choisi le sens giratoire, on sème les graines capturées à partir du tsibongy de droite :

L'idée est que s'il y a plus qu'une graine à semer, la seconde graine tombe dans la rangée intérieure.

La suite du tour de jeu dépend de l'endroit où tombe la dernière graine d'un semis élémentaire :

• Si cette graine tombe dans une case qui était jusque là vide, le tour de jeu s'arrête.
• Si la dernière graine tombe dans une case ne permettant pas une capture (c'est-à-dire une case non vide de la rangée extérieure, ou une case non vide de la rangée intérieure faisant face à une case vide), alors on prend toutes les graines de cette case et on les sème dans le sens choisi au début du tour de jeu.
• Si la dernière graine tombe dans une case permettant une capture (c'est-à-dire une case non vide de la rangée intérieure faisant face à une case non vide), alors on capture les graines qui sont en face, et on les sème à partir d'un tsibongy de son choix (ce qui peut aboutir à un changement du sens de semis au cours d'un tour de jeu).

S'il n'est pas possible de faire une capture dès le début d'un tour de jeu, on joue fotsiny c'est-à-dire que même si à un moment du tour de jeu, la dernière graine tombe dans une case non vide de la rangée intérieure, faisant face à une case non vide, on ne capture pas : on prend toutes les graines de cette case puis on les sème à partir de la case suivante, en respectant le sens de semis choisi au début du tour de jeu.

Un exemple : comme ci-dessus, Sud a capturé 2 graines et les a semées à partire de son tsibongy de gauche :

La dernière graine semée est tombée dans une case qui n'était pas vide (il y a maintenant 3 graines dans cette case ; c'est la voisine du tsibongy de gauche), ce qui permet à nouveau une capture :

Sud peut semer les graines capturées, ou bien depuis le tsibongy de droite (ce qui lui permettrait une nouvelle capture), ou bien depuis le tsibongy de gauche :

Comme il n'est plus possible (pour l'instant) de capturer depuis cette case, Sud doit semer les 4 graines, vers la droite puisqu'en choisissant de commencer par le tsibongy de gauche, il a choisi le sens des aiguilles d'une montre :

La dernière graine est tombé dans le tsibongy de droite ce qui permet une capture :

En semant les 2 graines capturées depuis le tsibongy de droite, Sud peut encore effectuer une capture, mais en les semant depuis le tsibongy de gauche, il peut terminer son tour de jeu :

En effet la dernière graine est tombée dans une case qui était jusqu'alors vide.

Exemple de partie

Sud commence, sur ce plateau :

Sud choisit d'attaquer depuis cette case, dans le sens giratoire (donc depuis de tsibongy de droite) :

Les deux graines capturées et semées permettent une nouvelle capture, la seconde étant tombée dans une case non vide faisant face à une case non vide :

Sud capture 2 graines :

puis les sème, à partir du tsibongy de gauche (du coup le sens de semis passe au sens des aiguilles d'une montre) :

La dernière des 2 graines est tombée dans une case non vide mais il n'est pas possible d'effectuer une capture (il n'y a plus rien à capturer en face), donc Sud va juste semer (toujours dans le sens des aiguilles d'une montre) les 3 graines :

La dernière graine est tombée dans une case non vide de la rangée extérieure, et Sud sème les 3 graines de cette case, toujours dans le sens des aiguilles d'une montre :

La dernière graine est tombée dans une case non vide de la rangée extérieure, et Sud sème les 3 graines de cette case, toujours dans le sens des aiguilles d'une montre :

La dernière graine est tombée dans une case non vide (elle contient maintenant 5 graines) de la rangée intérieure, mais il n'y a rien à capturer en face, donc Sud sème les 5 graines, toujours dans le sens des aiguilles d'une montre :

La dernière des 5 graines est tombée dans une case (en bas à gauche) qui était jusqu'alors vide (elle contient maintenant 1 graine), donc c'est à Nord de jouer. Nord choisit de mener son attaque depuis son tsibongy de droite (à gauche ci-dessous) :

ce qui lui permet de capturer 4 graines. Nord décide de les semer à partir du même tsibongy :

La dernière des 4 graines est tombée dans une case (tout à droite) depuis laquelle Nord peut capturer 5 graines, et il décide de les semer à partir du même tsibongy (revenant ainsi au sens giratoire) :

La dernière des 5 graines est tombée dans une case (en haut à droite) non vide, mais de la rangée extérieure, donc Nord sème les 3 graines de cette case, toujours dans le sens giratoire :

La dernière graine est tombée (en haut à gauche) dans une case non vide de la rangée extérieure, donc Nord sème les 3 graines de cette case, toujours dans le sens giratoire :

La dernière graine est tombée dans une case non vide de la rangée intérieure, mais faisant face à une case vide de Sud, et il n'est donc pas possible d'effectuer une capture. Nord doit donc semer (toujours dans le sens giratoire) les 3 graines de cette case :

puis, toujours dans le sens giratoire, les 4 graines de la case d'arrivée :

La dernière graine est tombée dans une case non vide (elle contient maintenant 4 graines) de la rangée intérieure, face à une case non vide (elle contient une graine). Nord capture alors cette graine et la sème à partir du même tsibongy (restant donc dans le sens giratoire). Semer une graine revient en fait à la déplacer dans le tsibongy :

Mais en fait, Nord n'a plus besoin de continuer à semer, car même si Sud possède encore 10 graines, aucune d'entre elles ne se trouve dans la rangée intérieure, et Nord, ayant déjà gagné, n'a plus besoin de continuer à jouer.

Au final, chacun des joueurs n'a joué qu'un seul tour de jeu. On peut se demander si Sud a bien joué, et s'il n'était pas possible de gagner en un seul tour de jeu. De fait, si Sud avait commencé par attaquer depuis le tsibongy de gauche vers la droite (sens des aiguilles d'une montre) :

pour ensuite semer depuis le rsibongy de droite (donc en changeant de sens) les 2 graines capturées :

il lui aurait été possible de capturer encore 2 graines, et, en les semant depuis le tsibongy de droite :

Sud aurait pu gagner ; en effet il lui aurait fallu semer les 4 graines en gardant le sens giratoire :

puis (toujours dans le sens giratoire) les 3 graines :

ce qui, comme la dernière graine tombait dans une case (à droite, contenant maintenant 5 graines) permettant une capture, lui aurait permis de capturer les 2 dernières graines de la rangée intérieure de Nord, gagnant ainsi la partie :

Dans ce cas, Nord aurait perdu avant même d'avoir pu jouer !

Ce jeu (surtout la version à 6 colonnes) permet (comme au katro ou au m'raha wa n'tso) de belles surprises avec des renversements impressionnants de situation, et s'il y a une stratégie gagnante, elle est difficile à trouver. Il est même difficile de deviner qui a une stratégie gagnante, en raison du fait qu'il y a beaucoup de décisions à prendre au cours d'un tour de jeu. Une partie dure moins de 10 minutes, ce qui contribue grandement à l'intérêt de ce jeu.